Comment la technologie pirate l'esprit des gens - Tristan Harris Billet

Un ex-concepteur de produits chez Google nous explique comment les applications sociales cherchent à s'assurer, dès la conception, l'addiction de leurs utilisateurs.

Tel le magicien qui utilise les biais cognitifs naturels de son public, les designers produits utilisent les vulnérabilités psychologiques conscientes et inconscientes pour maintenir notre attention et garantir ce qui est, pour eux, l'essentiel : notre temps de cerveau disponible.

Donner l'illusion du choix

La culture occidentale repose sur un idéal de liberté de choix.
Proposer un menu d'application suffisamment fermé pour garantir une utilisation captive mais avec suffisamment d'options, comme autant de chemins détournés, pour ne pas donner l'impression de manipuler est une première clé, fondamentale.
Rares sont les personnes qui demandent ce qui n'est pas au menu ou pourquoi telles options sont proposées et pas d'autres. On se dit que si c'est conçu comme ça, c'est qu'il n'est pas possible de faire autrement.

Le principe est de détourner un besoin initial en un autre choix, imposé.
Ainsi Yelp, plutôt que de proposer un classement de lieux conviviaux proposera une série de photos de coktails. L'utilisateur, sans s'en rendre compte, est contraint de répondre à une question qu'il ne se posait pas : où boit-on les meilleurs cocktails ?

Les notifications de nos téléphones ne nous donnent pas les éléments propres à bien engager notre journée mais nous présentent "toutes les choses que j'ai manquées depuis hier soir".

Le principe de la machine à sous

Pour être sûr de conserver votre audience, proposez des récompenses basées sur la frustration.
Plutôt que prévoir un raffraichissement automatique des e-mails, proposez un système de "tirette" (glisser l'écran vers le bas), comme un bandit-manchot. Au bout de quelques secondes de suspens insoutenable, la petite roue disparaît et vous obtenez, selon les circonstances, une récompense alléchante (une bonne nouvelle, une offre promotionnelle, la réponse tant attendue à votre mail, etc...) ou... rien du tout. Alors vous recommencez 10 fois, 20 fois, 100 fois dans la journée.
On appelle ça des récompenses à intermittence variable.

La pastille rouge de facebook, qui indique souvent des événements sans intérêt, ou le switch de Tinder jouent le même rôle.

Exploiter la peur du manque

Se positionner comme un canal d'information important, et leur fournir les outils ad hoc, permet de convaincre vos utilisateur de vous rester fidèle.
Même si vous ne publiez rien d'important pendant un certain temps, il vaut mieux rester attentif. On ne sait jamais...

Le problème c'est que, dans l'absolu, nous manqueront toujours quelque-chose d'important quel que soit notre niveau de vigilance.
Pour être sûr que ce sentiment perdure, on n'hésite pas à multiplier la masse d'informations venue de toute part.

Satisfaire la recherche d'approbation sociale

Notre besoin naturel d'appartenance est désormais aux mains des réseaux sociaux.
Faire en sorte d'être approuvé par ses pairs est devenu un enjeu majeur. Etre tagué sur Facebook ou accepté dans le réseau de votre mentor sur LinkedIn sont des satisfactions fortes.

Donnez à vos utilisateurs les moyens de satisfaire ce besoin et vous serez le roi du pétrole.

De même, notre éducation nous incite à offrir notre reconnaissance en retour.
Si cette attitude est légitime elle se trouve démultipliée, telle une injonction sociale, par les outils qu'on nous propose. Répondre à un message, un mail, un like sont devenus des réflexes. Et c'est autant de temps que nous passons sur la plateforme.
Une offre de lien sur LinkedIn répond bien plus souvent à une validation de suggestion qu'à une volonté consciente.

Un flux ininterrompu

Séries en continu qui s'enchaînent automatiquement (regardez Netflix, MyCanal ou Youtube), flux facebook infini sont une façon d'abrutir les gens, de leur faire consommer des choses même quand ils n'en ont plus envie.
La fonctionnalité d'enchaînement automatique de Youtube est activée par défaut. Et, jusqu'à récemment, elle se réactivait à chaque nouvelle connexion si vous la désactiviez.
C'est la quantité qui prime sur la qualité.

La dictature de l'instant

Les messageries instantanées sont devenues le moyen privilégié de communiquer.
Interrompre l'autre dans ce qu'il fait par un média où l'instantanéité est de règle et où tout s'enchaîne, empêchant la hiérarchisation, est le plus sûr moyen de l'obliger à répondre immédiatement, pour ne pas perdre le fil.
On cultive ainsi le sentiment d'urgence et de réciprocité sociale. Facebook, WhatApp et consorts indiquent si un message est lu ou non. Les messageries proposent des services toujours plus précis de suivi de lecture des mails (Boomerang, Trackmail).

Echanges de bons procédés

Créer le besoin est un autre outil d'addiction.
Ainsi on veillera à proposer à l'utilisateur un service dont il n'a pas besoin a priori en parallèle de celui qu'il est venu chercher.
Comme dans les supermarchés ou vous devez traverser tous les rayons pour accéder à l'essentiel, vous devrez slalommer au travers des propositions qui vous sont faites tout au long de votre navigation.

Compliquer les procédures indésirables

Evidemment, dans un monde "libre", le choix de se désinscrire d'un service est toujours possible. Mais il est possible de dissuader de le faire.
D'abord en rendant ce choix difficile à faire. Tant d'autres applications vous rendront le même service, avec une approche différente; Laquelle choisir en alternative ?
Ensuite en vous compliquant le travail : plutôt que de simplement valider un choix "Me désinscrire", je devrai passer par un formulaire de motivation et, parfois, appeler le service abonnements par téléphone. De quoi en dissuader plus d'un.

La stratégie du pied dans la porte

Quand vous cliquez sur "Voir les photos de X" vous n'avez pas conscience que vous allez y passer les 20 prochaines minutes.
Il est donc important de présenter les choses sous un jour positif, sans jamais induire les inconvénients que cela entraîne.
Ainsi présenter seul un premier choix, induisant une action rapide, qui va en fait déboucher sur plusieurs écrans successifs est une méthode répandue.

Pour finir, voici l'intervention de Tristan Harris à TEDx Brussels

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