Mark Zuckerberg devant le Sénat : le choc des mondes Billet

Mark Zuckerberg passait son "grand oral" devant les représentants du Sénat américain le 10 avril 2017. On n'aura pas appris grand-chose, si ce n'est qu'une véritable faille spatio-temporelle digne de Retour vers le futur sépare les vieux sénateurs de l'ancien monde et les pratiques des sociétés du numérique. Une ignorance partagée par les utilisateurs du réseau. Et c'est sans doute le coeur du problème.

A quoi reconnait-on un Sénateur qui maîtrise un tant soit peu le sujet de la société numerique ? Il a moins de 70 ans, il est Républicain et il porte une Apple Watch.

Les sénateurs Tillis, à gauche, et Thune, à droite, lors de l'audition de Mark Zuckerberg devant la commission du Congrès.

Ce qui était le plus frappant, dans cette audition devant le Congrès américain, c'était le décalage entre la réalité de Facebook, son modèle économique, ses algorithmes, sa gestion des données et la compréhension qu'en ont les vieux sénateurs. Ils n'ont pourtant pas économisé les formules telles que "in a modern America" (dans une Amérique moderne), qui rappelle le titre du film de Charlie Chaplin, emblématique de la Révolution Industrielle de la fin du XIXème siècle, "Les temps modernes". Et cela n'est pas pour nous rassurer s'il s'avère que l'Etat décidait de légiférer. Dans ce contexte la question d'un sénateur qui demandait à Mark Zuckerberg pourquoi on devrait lui faire confiance en acceptant l'auto-régulation, on a envie de répondre que ce ne serait pas une si mauvaise idée...

Mark Zuckerberg a bien du mal à entendre la question du sénateur Leahy (Démocrate).

Le sénateur Blunt (Républicain) peine à obtenir des explications quant à l'utilisation par Facebook des informations personnelles liées au système d'exploitation utilisé. Il faut reconnaître qu'il s'emmêle un peu les pinceaux...

Le PDG de Facebook s'était bien préparé. Il avait mis son plus beau costume et a mis un point d'honneur à montrer son respect en commençant systématiquement (je n'ai pas noté un seul manquement) ses réponses par la formule respectueuse "Senator". Jamais il ne s'est énervé, même lorsque les questions étaient pertinemment déplacées, si ce n'est quelques marques d'agacement vite maîtrisées.

Cependant certaines questions démontraient bien, pour certains sénateurs, que l'enjeu était bien maîtrisé. Ainsi cette question du sénateur Durbin (Démocrate) :

Au bout du compte cette audience aura cependant permis de mettre en évidence l'opacité des pratiques du réseau social et de lever un peu le voile sur celles-ci auprès du public :

  • Une quantité très importante de données personnelles est collectée. Zuckerberg n'a pas été en mesure d'en préciser l'étendue.
  • Elles ne sont pas vendues directement aux annonceurs. Elles permettent de leur proposer une exposition à un panel de profils, définis par Facebook à partir de ces données, répondant à leurs attentes.
  • Les communications WhatsApp sont cryptées et Facebook n'en a pas connaissance (ce qui suppose que les autres sont accessibles et exploitables)
  • Facebook utilise des témoins (cookies) actifs en dehors du site et des applications Facebook. Ils permettent d'enrichir le profil de l'utilisateur pour lui fournir "une expérience publicitaire" pertinente.
  • Facebook collecte bien les témoins de communications SMS et Téléphone. Il semble que cela soit restreint aux applications hybrides qui permettent de remplacer les applications native dédiées à ces usages. Le carnet d'adresse de l'appareil est alors stocké.

Les sénateurs ont, avec insistance, souhaité une meilleure information en demandant un principe de consentement explicite. C'est-à-dire répondre OUI à des questions relatives aux différents points des conditions générales. Par exemple : "En publiant du contenu sur Facebook j'accepte que Facebook en devienne propriétaire exclusif : OUI - NON". On voit bien toute l'ambiguïté de la chose. Personne n'accepterait. Mark Zuckerberg ne s'est jamais, au cours de cette audition, engagé à cela. C'est sans doute le plus regrettable : celui qui se proclame fédérateur des relations entre les gens pour le bien de l'Humanité, ni plus ni moins, refuse de donner à ses utilisateurs les moyens de le faire en conscience et en confiance.

Un épisode de la vie de cette entreprise tentaculaire qui, espérons-le, l'incitera à une certaine remise en question.

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