Les mutations du cognitif - Entretient avec Michel Serres Billet

Illustration : © Manuel Cohen

Le philosophe de 87 ans n'a pas raccroché les gants de vigie de notre société numérique. Il a accordé une interview aux blogs Binaire et The Conversation où il confirme ses positions sur les mutations du cognitif induites par la révolution numérique. Transformations de la connaissance, du lien social et du travail nous obligent à repenser la société tout entière, dans une perspective de disparition du travail au profit de valeurs plus fondamentales.

Michel Serres observe que depuis l'invention de l'imprimerie la mémoire s'est objectivée. Un mouvement amplifié par l'informatique qui démultiplie le potentiel d'accès à l'information. Mais il constate que cette profusion d'information ne signifie pas un accroissement de la connaissance, qui suppose imagination et raisonnement. L'informatique n'est, selon lui, pas encore capable de maîtriser ces 2 pans essentiels de l'intelligence humaine.

Il constate que, au niveau du fonctionnement de la société, l'informatique bouleverse de nombreux secteurs. Ainsi, le principe de communication, qui reposait sur la présence d'intermédiaires, comme les demoiselles du téléphone, s'en affranchit désormais. Le principe de concentration cède à celui de distribution, illustré par l'émergence des crypto-monnaies aux côté de celles que maîtrisent les banques centrales.
L'informatique transforme également le lien social en permettant un accès des uns aux autres de façon directe, simple et rapide, quel que soit le lieu et le moment. Cela induit une transformation du sentiment d'appartenance. Hier ancré dans la proximité géographique il s'en affranchit désormais pour privilégier les affinités. Au risque d'amplifier la diffusion des fausses informations.

Ces transformations nous obligent à repenser nos modèles et à réviser les règles de vie en société. Au niveau politique notamment, il faut s'affranchir des organisations qui reflètent une vision segmentée de la société. Le chômage doit être traité de façon transversale dans l'agriculture, le travail, l'éducation, etc... Chacun de ces domaines n'est plus indépendant face aux défis. De même les différentes approches scientifiques, littéraires, philosophiques doivent se parler. L'informaticien doit devenir sociologue et le chercheur en sciences humaines informaticien.

Le monde qui vient détruira sans doute plus d'emplois qu'il n'en créera, au contraire des révolutions industrielles. Les penseurs doivent donc imaginer une société avec d'autres valeurs que celle du travail, devenu rare.

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